« Les idées et les possibilités fleurissent grâce au travail démocratique réalisé en amont »
La transition ne reste-t-elle pas une préoccupation de privilégiés ? Il faut avoir le temps et les moyens de s’investir sur ces sujets au demeurant essentiels.
Je crois que beaucoup de choses extraordinaires sur cette planète émergent en fait dans des endroits pauvres. Dans le sud pauvre des Etats-Unis, comme à Jackson, dans le Mississippi où ils ont l’incroyable projet « cooperation Jackson », ou à Cleveland dans l’Ohio. Dans ces villes très pauvres, majoritairement noires et où le tissu industriel a disparu, les gens se sont auto-organisés autour d’idées de coopératives. Ils se sont inspirés de mouvements de transition, avec une dimension de justice sociale exprimée plus explicitement. Ce qui peut se passer dans des communautés avec peu d’argent est très excitant.
Les groupes en transition émergent certes lorsqu’il y a du temps, de l’espace, de l’énergie et de la confiance. De nombreux lieux ne rassemblent pas tous ces critères mais certains transforment un inconvénient en avantage. En Ecosse, par exemple, un mouvement de transition s’est développé à l’université malgré la grande mobilité de la population. Avec un tiers des gens qui se renouvelle chaque année, cela aurait pu être un désavantage mais ça a été utilisé comme une force.
Croyez-vous que l’on puisse changer d’échelle à temps ? Malgré toutes ces initiatives, le mouvement reste marginal et semble très loin de répondre à l’appel d’urgence des scientifiques. La pollution augmente, la biodiversité s’effondre, le climat se dirige vers un réchauffement de 4°C ou 5°C d’ici 2100…
Oui, absolument. Il faut identifier les bons exemples et apprendre d’eux pour passer à l’échelle supérieure. Nous avons une fenêtre d’action très étroite décrite par le Giec il y a quelques semaines [le rapport spécial du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat publié le 8 octobre estime qu’il faudrait avoir baissé nos émissions de CO2 de 45 % dès 2030, ndlr].
« Fantastique ! Nous avons une occasion excitante de tout réinventer »
Le gros défi pour moi consiste à comprendre pourquoi nous ne réagissons pas collectivement en nous disant : « Fantastique ! Nous avons une occasion excitante de tout réinventer ». L’imagination joue un rôle primordial pour guider nos réactions. Nous avons des exemples sous les yeux, comme Jackson, Barcelone… Bristol et Manchester ont déclaré l’urgence climatique et vont réexaminer l’ensemble de leurs politiques municipales sous le prisme de cette urgence. Si on met toutes les pièces du puzzle ensemble, on a un bon aperçu de ce que devrait être la bonne réponse.
Vous parlez du rôle de l’imaginaire et prônez inlassablement un message d’optimisme. Que répondez-vous à ceux qui soulignent le risque qu’un tel message accroisse le déni de l’ampleur du danger et atténue la conscience de l’urgence ?
Il faut être très prudent avec ça. Les mots que nous posons « au milieu de la pièce », au centre de la conversation, ont un impact important. Si on y pose le désespoir, l’effondrement, et disons qu’il est trop tard, ça paralyse complètement la conversation et il devient très difficile d’être créatif et imaginatif.
Il y a beaucoup de désespoir aujourd’hui, et il est justifié. C’est difficile de ne pas désespérer en lisant les informations sur le climat… Mais s’il est trop tard, ça veut dire qu’il ne nous reste plus qu’à gérer le lent délitement de tout. Et la meilleure façon de gérer ça, c’est d’être imaginatif. Il y a toujours une opportunité d’éviter le pire. Le Giec nous dit qu’il faut tout réinventer : cela nécessite un effort collectif d’imagination.
« Le capitalisme détruit la vie sur la planète. Donc plutôt que de l’innovation, je préfère parler de besoin d’imagination »
Le gouvernement dit tout le temps que c’est une question d’innovation. Mais pas du tout. L’innovation est une chose que l’on fait quand le modèle fondamental sur lequel cela repose fonctionne. Vous pouvez innover avec de nouveaux ingrédients sur votre pizza si vous avez une bonne pâte, parce que le modèle fondamental fonctionne. Mais la base aujourd’hui, le capitalisme, ne fonctionne pas, il détruit la vie sur la planète. Donc plutôt que de l’innovation, je préfère parler de besoin d’imagination.
L’imaginaire du capitalisme est aujourd’hui très puissant. Avec la promesse fortement ancrée d’une consommation exponentielle de biens et services pour les consommateurs. Comment stimuler une nouvelle forme d’imagination ?
Les gens sont fatigués, effrayés, las et en manque d’inspiration. Mon analyse est que nous vivons une crise de l’imagination. Notre système éducatif ne produit pas des gens qui soient imaginatifs. Il l’a peut-être fait mais plus maintenant. L’économie mondiale est en guerre contre l’imagination, elle crée de la solitude, de l’anxiété et du stress chez les gens, qui ne pensent plus qu’en tant que consommateurs. Nous passons de moins en moins de temps dans la nature. L’impact des smartphones et des réseaux sociaux est aussi très fort sur l’imagination.
« Chantez des chansons, écrivez des poésies, dessinez, faites des films, rendez tout ça vivant ! »
Trop souvent, les gens qui se battent contre ça mettent la dystopie au centre de la pièce. Mais qui veut entendre ça ? Aidez-moi plutôt à imaginer à quoi pourrait ressembler un autre monde. Quand les politiciens disent : il faut réduire nos émissions de carbone de 80 % d’ici 2040, comment voulez-vous que j’imagine à quoi cela pourrait ressembler ? Racontez-moi ce monde, chantez des chansons dessus, écrivez des poésies dessus, dessinez-le, faites-en des films, rendez tout ça vivant !
J’ai récemment rencontré des chercheurs qui travaillent sur les addictions. Ils ont travaillé avec des gens en surpoids qui consommaient trop de nourriture malsaine. Les aider en leur disant de manger moins ne marche pas du tout. Les chercheurs ont en revanche travaillé sur leur imagination en stimulant tous leurs sens. Les patients se sont imaginé en train de courir, d’entendre les oiseaux chanter, sentir leur corps et leurs muscles évoluer et réagir positivement, ils ont imaginé rentrer fier chez eux après l’effort, etc. Présenter l’ensemble du tableau de ce à quoi pourrait ressembler une alternative a donné davantage envie aux patients de repousser le gâteau au chocolat. Les mouvements écolos font souvent cette erreur de ne pas raconter une histoire qui soit vraiment fascinante et enthousiasmante. Le récit de ce que nous pourrions être pourrait renverser les choses.
Un tel renversement de paradigme peut-il se passer de la politique ? Votre message se veut rassembleur et non clivant mais l’imaginaire que vous appelez à renverser fait de la résistance active…
Certaines personnes pensent effectivement que la transition n’est pas suffisamment activiste et bruyante et ne fait pas assez de politique. Je réponds que la transition est très politique en tant que démonstration, expérimentation de choses qui marchent. Ce weekend à Londres, il y avait un grand jour d’action du mouvement Extinction Rebellion [samedi 17 novembre, des milliers de manifestants ont bloqué 5 ponts londoniens pour appeler le gouvernement à agir en urgence pour le climat, ndlr]. Ma femme y était et elle a fait partie des personnes qui ont été arrêtées. Beaucoup de personnes impliquées dans la transition sont aussi impliquées dans ce mouvement.
« Nous avons des gens de tout le spectre politique qui sont impliqués »